La première partie du livre est centrée sur les premiers modèles de cycle développés par les économètres. Les principales questions auxquelles ils tentaient de répondre étaient : comment rendre compte de la persistance des fluctuations ? Quels mécanismes sont les mieux adaptés pour expliquer ces fluctuations ? Que signifie la stabilité de l’économie ? Converge-t-elle vers un point d’équilibre ?

Les premières réunions (européennes) de la Société d’Économétrie ont été principalement consacrées à l’éclaircissement des enjeux mathématiques et économiques entourant ces questions. Alors que l’article de Frisch de 1933, « Propagation problem and impulse problem in dynamic economics » est souvent considéré comme le point de départ et la référence de ces réflexions, nous soutenons qu’elles faisaient déjà l’objet de discussions intensives et que des progrès avaient été réalisés depuis au moins 1931, et la première réunion à Lausanne (Suisse).

Jan Tinbergen fut essentiel à ce progrès, par la construction de plusieurs modèles souvent seulement d’un marché plutôt que de l’ensemble de l’économie : Tinbergen lui-même faisait référence à l’article fondateur de Frisch plus souvent comme le point de départ d’une réflexion sur la macroéconomie plutôt que d’une réflexion sur l’économie dynamique, sujet sur lequel Tinbergen était le pionnier le plus polyvalent. Ses nombreux modèles et leurs variantes cherchant à expliquer les trajectoires économiques ont fait place par la suite à une vision plus unifiée dans le modèle du « pouvoir d’achat », publié pour la première fois en 1934. Le modèle du pouvoir d’achat devient lui-même une première brique de son modèle de 1935, qui distingue clairement deux secteurs de production (investissement et consommation), résultat des discussions des années précédentes.

Bien que Tinbergen (et Frisch dans une moindre mesure) aient été les principales inspirations mathématiques pour d’autres économètres, il ressort des échanges dans les réunions de la Société d’Économétrie et dans l’évolution des modèles de Tinbergen que Kalecki était le plus influent en matière de théorie et de mécanismes économiques. Alors que le modèle qu’il présente lors de la réunion de 1933 utilisait une solution mathématique présentée par Tinbergen à Lausanne, il a également mis au premier plan de la recherche macrodynamique les mécanismes reposant sur l’évolution des bénéfices, de l’investissement et de la consommation, anticipant nombre des développements qui se sont généralisés après Keynes.

Cette première partie rappelle comment les interactions de ces économistes ont jeté les bases d’une grande part des travaux ultérieurs de macroéconomie et d’analyse de la politique économique. L’attention sera également portée sur les limites et les critiques de cette nouvelle approche, notamment l’idée que le cycle n’était qu’un « mythe », défendu par Irving Fisher.

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